mercredi 2 juillet 2014

Focus : les 24h de la nouvelle

Pour commencer la semaine, je me suis intéressée à un projet étonnant, qui a connu sa deuxième édition le mois dernier, et qui pique ma curiosité depuis sa création : les 24h de la nouvelle. 
J’ai donc décidé de poser des questions à deux acteurs de cet événement : Jérôme, la tête pensante, qui a initié les 24h de la nouvelle et Vestrit, auteur, qui a participé aux deux sessions. Je ne sais pas vous mais à moi, leurs réponses m’ont furieusement donné envie de sauter le pas la prochaine fois !





Jérôme (organisateur de l’événement)

Un Monde de Nouvelles (uMdN) : Bonjour Jérôme et merci d’avoir bien voulu répondre à mes questions ! Il y a un peu moins d’un mois était organisée la deuxième session des 24 Heures de la Nouvelle. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ? D’où est venue ton inspiration ? Pourquoi les nouvelles ?


Jérôme : Merci beaucoup de me donner la parole... :-)
Les 24 Heures de la Nouvelle, c'est un concept tout simple : pendant 24 heures, des dizaines d'auteurs confirmés ou non essayent de rédiger une nouvelle d'au moins 5000 signes (1000 mots environ), tous autour de la même contrainte, tirée au sort parmi les propositions de chacun. Les textes sont ensuite publiés sur le site des 24 Heures (http://24hdelanouvelle.org) et sur le blog respectif de chaque auteur.

Tout est parti de Boulet et d'une réflexion sur le gratuit sur Internet.
Je ne connaissais pas Boulet du tout (honte sur moi, je sais...) jusqu'à ce qu'une amie poste un lien sur Facebook vers son "Ténébreux" (http://www.bouletcorp.com/blog/2012/01/30/le-tenebreux/). J'ai adoré son dessin, son humour et son humanisme, mais ce n'est que quelque temps plus tard que je me suis aperçu qu'il avait réalisé toute la BD en seulement 24 heures, au festival d'Angoulême. Ça m'a complètement soufflé.

En parallèle, je m'interrogeais sur l'intérêt pour un auteur de mettre du contenu en accès gratuit sur Internet. En (très très) gros, le débat tourne autour de deux arguments :

- D'un côté, en tant qu'écrivains, nous vivons de ce que les lecteurs sont prêts à payer pour nos œuvres.

- De l'autre, Internet est un excellent moyen de se faire connaître.

Outre-Atlantique, certains ont adopté des stratégies parfois très surprenantes : Cory Doctorow, par exemple, met ses romans en téléchargement libre sur son site. Si vous les aimez, il vous invite à le remercier en les achetant.

Boulet est un autre exemple : ses notes de blog sont accessibles à tous... mais vous pouvez également les trouver chez Delcourt.


J'ai donc l'impression qu'il existe une façon de concilier les deux arguments.

En combinant les deux réflexions, je me suis dit qu'il pourrait être intéressant d'adapter le concept des 24h de la BD à l'écrit – et en ce temps limité, le format nouvelle s'est imposé de lui-même.


uMdN : Comment s’est passée la première session ? Comment as-tu procédé pour motiver les troupes pour écrire vingt-quatre heures durant ?

Jérôme : Nous avons monté la première édition très facilement, en deux mois, en grande partie grâce à Cocyclics et au Co-Lecteur : les membres de ces deux forums ont été les premiers à s'intéresser à l'idée. Merci à tous ! Notamment à Cécile Duquenne, des Nuits d'écriture, ainsi qu'à Manon Bousquet et Tesha Garisaki, qui m'ont beaucoup aidé à tout organiser l'an dernier et cette année.

Il n'a pas vraiment été besoin de motiver quiconque : tout le monde était sur les starting-blocks (le compteur de vues du site a explosé lorsque nous avons tiré au sort la contrainte – un peu façon serveur de l'Éducation Nationale le jour des résultats du Bac). Ce sont au total 30 nouvelles qui ont franchi la ligne d'arrivée (http://24hdelanouvelle.org/les-nouvelles-2013/), pour 39 participants. Quelqu'un a même réussi à écrire 5 textes au fil de la nuit...

Je pense que plusieurs facteurs ont aidé : d'une part, la contrainte était à la fois "fun" et ouverte (il fallait placer dans le texte le titre d'au moins 5 chansons du même groupe ou artiste). D'autre part, la session ne dure "que" 24 heures, ce qui est relativement facile à caser dans son agenda.

Imaginez : le samedi à 14h, vous vous installez à votre bureau (ou dans votre salon, sur votre terrasse, dans le jardin...). Toute l'après-midi, la nuit et le matin, vous planchez avec des dizaines d'autres personnes sur la même contrainte, partageant leurs encouragements sur le chan des 24 Heures. Le lendemain, vous êtes l'heureux auteur d'un tout nouveau texte – qui n'aurait peut-être jamais vu le jour sans cela.

Pour moi c'est une nouvelle "bonus", et par conséquent ça me semble naturel de l'offrir gratuitement aux lecteurs.


uMdN : Et la deuxième session ? Peux-tu en faire un bilan ?

Jérôme : La deuxième édition a eu lieu du 31 mai au 1er juin dernier, avec cette fois pour contrainte qu'un animal devait jouer un rôle au moins mineur.

Nous étions 57, dont moitié de "vétérans" de 2013, mais aussi beaucoup de nouveaux venus d'autres horizons que Cocyclics et le Co-Lecteur : le signe, je pense, que le concept commence à tenir sur ses propres jambes. J'étais très curieux de voir ce que cela allait donner...

Les participants ont écrit 36 textes (http://24hdelanouvelle.org/les-nouvelles-2014/), allant de la littérature Blanche au Fantastique, en passant par l'Humour et le Polar. Si je peux citer quelques coups de coeur, sans ordre particulier :

• Un documentaire animalier sur une planète étrangère : http://24hdelanouvelle.org/2014/06/in-rust-we-trust/

• Un très joli exemple de mise en abyme : http://24hdelanouvelle.org/2014/06/on-y-sera-demain/

• Une version d'Alien un peu... particulière : http://24hdelanouvelle.org/2014/06/seule-dans-lespace/

• Une histoire d'amour et de sorcellerie : http://24hdelanouvelle.org/2014/06/la-biche/

• Et bien d'autres...

Quelqu'un m'a dit qu'au total, les textes représentaient plus de 200 pages sur sa liseuse. Tout ça en seulement 24 heures...


uMdN : C’est vrai que c’est impressionnant ! Et ta vision d’auteur sur ce projet ? Ça t’a semblé facile d’écrire une nouvelle si rapidement ou tu as plutôt l’habitude de prendre ton temps ?

Jérôme : J'écris plutôt aisément, mais je n'ai jamais assez de temps pour le faire. Du coup les 24h sont parfaites pour moi – il me suffit de bloquer à l'avance le jour entier.

J'avoue qu'avant la première édition, je me demandais un peu combien il y aurait de survivants si nous allions y arriver, surtout après avoir lu ce que raconte Boulet à propos de son expérience des 24h de la BD (http://www.bouletcorp.com/blog/2012/12/13/les-24h-de-la-bd-2/). C'est pour cela que nous avons fixé un minimum de taille assez faible : 5.000 sec ou plus (un peu moins de 1.000 mots). Au final, deux tiers des participants ont franchi la ligne d'arrivée.

En ce qui me concerne, c'est l'inverse : j'ai un peu de mal avec les textes courts (ma moyenne est plutôt dans les 50-60.000 sec), mais c'est bien, j'ai appris à faire plus concis.

Assez curieusement, après ces deux sessions, j'ai l'impression de savoir mieux "esquisser" : en 24 heures, on ne peut pas peindre une toile de maître, on ne peut pas non plus se dire qu'on y reviendra dans quelques jours ou quelques mois pour reprendre tel ou tel aspect. Par conséquent, il faut surveiller en même temps tous les éléments qui font une bonne histoire (l'intrigue, les personnages, les descriptions, le "Show vs. Tell", l'atmosphère, le suspense, etc.), et ne pas entrer trop dans le détail, mais y aller par petites touches quasi-impressionnistes.

Je serais d'ailleurs curieux de savoir si les autres vétérans des 24 Heures l'ont ressenti de la même façon. :)

uMdN : On verra ça un peu plus loin avec les réponses de Vestrit. Que retiens-tu de cette expérience ? (en tant qu’organisateur et en tant qu’auteur).

Jérôme : En tant qu'organisateur, je suis ravi de voir que l'idée prend. J'espère que nous serons encore plus nombreux la prochaine fois !

Je suis aussi très impressionné par le développement de certains participants. Si vous avez le temps, comparez ce que la même personne a écrit l'an dernier et cette année : beaucoup ont gagné en profondeur, en style et en maîtrise. C'est peut-être parce que nous sommes maintenant rodés ; mais c'est peut-être aussi un moyen de repérer quelques étoiles montantes, qui vont bientôt faire beaucoup parler d'elles...

En tant qu'auteur, je note que si j'avançais aussi vite que sur les 24 Heures, je pourrais boucler mon roman en quinze jours... Dommage qu'il faille dormir parfois ! ;-)




Vestrit (auteur)

uMdN : Bonjour Vestrit et merci d’avoir bien voulu répondre à mes questions ! Venons-en directement au fait : pourquoi avoir participé aux 24h de la nouvelle ? Qu’est-ce qui t’a attiré ?

Vestrit : Je connaissais déjà le principe des 24h de la BD. Suivant de nombreux blogs de dessinateurs, j’avais eu l’occasion de voir ce que ça donnait et je trouvais ça marrant comme défi.

Comment résister à son adaptation en mode nouvelle ? Une contrainte, 24h pour écrire le premier jet, il y a de quoi s’amuser, et j’aime m’amuser. Donc c’était parfait pour moi.


uMdN : Peux-tu décrire tes deux expériences ? Qu’est-ce qui t’a plu ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ?

Vestrit : Je n’ai jamais les 24h parfaitement. L’an dernier, je travaillais, donc j’ai bossé en décalage. Cette année aussi, mais comme ça concernait le dimanche matin, j’ai tout simplement fait mes 24h en 10h.

La contrainte a été pour moi un vrai moteur. L’an dernier j’avais décidé de faire de la SF, un défi personnel. Manque de pot, mon choix d’artiste m’a guidée vers une histoire assez loufoque, un genre que j’ai baptisé le post-apo magique. Cette année, j’ai été moins motivée par la contrainte, mais comme elle correspondait à une version plus ouverte de ma propre proposition, j’ai joué avec le Capybara qui me titillait donc depuis une semaine.

Après, le plus dur je crois, c’est de maintenir la flamme de l’écriture tout du long. L’an dernier, je me bananais tellement à chaque paragraphe que ça avait coulé tout seul. Cette année, j’ai eu un petit coup de mou à mi-nouvelle, je suis partie m’aérer le neurone et je suis revenue pour terminer.


uMdN : As-tu échangé avec les autres auteurs durant ce défi ? Comment ça s’est passé ?

Vestrit : L’an dernier, je suis restée collée au chat tout du long. J’y avais trouvé une ambiance détendue et sympathique, où chacun partageait son avancée et encourageait les autres, un peu d’émulation aussi il me semble. Mes souvenirs sont flous.

Cette année, j’ai un peu boudé le chat. L’ambiance m’a moins plu, je n’ai pas trouvé de volontaire pour des word wars, alors plutôt que jouer les ronchons de service, je me suis déconnectée pour travailler dans mon coin. 





uMdN : Et les nouvelles ? Peux-tu nous en dire davantage ? Est-ce que l’idée était là avant ? Est-ce que la contrainte a été difficile a relever ?

Vestrit : Comme je le disais plus haut, j’adore les contraintes. Tout ça doit remonter à mes dissertations de collégienne je suppose. Bref, rien ne libère plus ma créativité. Et plus elle est contraignante, mieux c’est.

L’an dernier, je me suis totalement laissé porter. J’ai choisi mon artiste (Adèle) en me disant que si je traduisais ses titres mots à mots, ça donnerait des phrases cocasses et rigolotes à placer. Et c’était le cas. Je me suis tellement amusée que je n’ai pas vu les 24h filer.

Cette année, j’avais prévu de faire pareil. La contrainte (placer un animal) m’a paru trop large. Comme ma proposition personnelle (placer un Capybara) y collait et qu’elle avait semé une idée qui trainait dans ma tête depuis une semaine, je suis partie là-dessus. De l’humour, encore, j’y reviens avec une régularité sans faille.


uMdN : Et après ? Qu’en as-tu fait de ces textes ?


Vestrit : La nouvelle de l’an dernier a tenté sa chance chez Lanfeust après correction. En vain malheureusement. J’aimerais bien la placer, surtout que j’ai écrit un roman tiré de l’univers que j’ai créé, mais elle est assez originale, et n’est pas vraiment une histoire à chute, alors je ne sais pas trop quoi en faire.

Comme je suis têtue, et que le texte de cette année est aussi humoristique, il va suivre le même parcours. J’ai déjà mes retours, la nouvelle est en attente de corrections et d’envoi. 



uMdN : D’autres projets de nouvelle dans tes tiroirs ?

Vestrit : Malheureusement, oui. Muse est taquine et ne m’a jamais autant fourni d’idées à écrire qu’en ce moment où je traverse une période étendue de flemme et d’occupation intense. D’ailleurs, je ne pensais pas arriver à sortir quelque chose pour les 24h, comme quoi, le défi est même venu à bout de ça.




Je n'ai qu'une chose à dire après ça, encore merci à Jérôme et Vestrit pour leur participation et leur gentillesse et vivement les prochaines 24h !

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